Voix / Emotions – Une inversion (en)chantée

figaroSérie Algorithmes et Chamanisme

Philosophie de la voix de Roy Hart
Comment la voix façonne nos émotions
Le Figaro du 21/01/2016.

Au hasard du RER, en route pour CDG2, un businessman abandonne son Figaro en descendant à CDG1. Je le prends pour le feuilleter dans l’avion, et je tombe sur l’article directement responsable pour le titre de cette série Algorithmes et Chamanisme : « Comment la voix façonne nos émotions – Des chercheurs ont réussi à modifier les sentiments ressentis par des volontaires en modifiant les intonations de leurs paroles. »[1] Le commentaire de l’image sur le site du Figaro (ci-contre) dit : « C’est la preuve que l’être humain écoute le son de sa voix pour savoir comment il se sent et que, parfois, il lui fait trop confiance – analyse Jean-Julien Aucouturier, auteur principal de l’étude. »

A beaucoup d’égards, c’est l’inversion parfaite pour mes propos sur la philosophie de la voix de Roy Hart.

Même éthiquement, la photographie choisie par le Figaro est pour le moins douteuse! La belle hôtesse (c’est ma lecture « aéroport ») est convertie en sirène BCBG[2] par un algorithme, pour séduire l’homme-client grâce à une voix et à une intonation algorithmiquement parfaite pour le profil du client. C’est de la robotisation vocale et sexiste. Cette trouvaille me rappelle un film intitulé Serendipity[3] (with a sense of humor) – que j’ai par contre bien aimé ! Je l’ai décrit comme l’anima sentimentale du Hollywood Dream.  Roy Hart lui-même, en 1970, avait demandé à ceux qui le suivions de commenter le livre d’Artur Janov, The Primal Scream, (Le Cri Primal), qui venait d’être publié. Il nous avait demandé de le commenter en termes de acausal synchronicity, un concept utilisé par C.G. Jung pour parler des coïncidences psychiques. J’y reviendrai. Cela me dépassait un peu à l’époque : j’étais trop jeune. C’est moins le cas aujourd’hui, et donc nous pouvons passer aux choses sérieuses.

Je suis à la recherche, dans le paysage intellectuel de l’après-guerre, de propositions philosophiques qui puissent être rapprochées de celles de Roy Hart, ou qui aient pu l’inspirer (ceci est d’ailleurs un appel à suggestions.) Roy Hart (1926 – 1975) s’appuyait, bien sûr, sur la philosophie de son professeur-mentor-maître : Alfred Wolfsohn (1896 – 1962), qui, lui, a laissé des manuscrits qui ont été utilisés dans des thèses de doctorat et des livres sur sa vie et ses idées – dont notamment Paul Newham[4]. Mais très, très peu a été écrit sur Roy Hart  – et aucun doctorat! Pourquoi ?

Voici une proposition que je fais, concernant l’entourage de Roy Hart à l’époque, dont j’étais, mais qui pourrait s’appliquer aussi à Paul Newham, ou à Grotowski, plusieurs années auparavant [5] : « Une très grande pudeur a prévalu au sujet de Roy Hart après sa mort en 1975 – j’en conviens en ce qui me concerne et je m’en expliquerai davantage. Je pense que c’était en grande partie parce que Roy Hart était quelqu’un d’extraordinaire – hors normes – comme on en trouve chez les gurus védiques, ou dans d’autres traditions – dont celles, juives, qui étaient les siennes. Une voix extraordinaire à tous niveaux – et qui assumait sa philosophie avec une intégrité et une dynamique tout aussi extraordinaires. C’est d’ailleurs la définition védique d’un guru : quelqu’un qui incarne une vision spirituelle et/ou éthique. Une telle exceptionnalité est difficile à affirmer et à expliciter. Elle est traditionnelle en Orient, notamment en Inde, mais elle va de pair en Occident avec une certaine méfiance à cause des connotations sectaires[6]. Je pense qu’il est grand temps d’en parler. Récemment, j’ai décrit Roy Hart comme un « génie éthique » : huge enlightenment and huge shadows (immense illumination et immenses ombres). »

L’article du Figaro décrit une expérimentation technique : on fait entendre à une personne déprimée, en boucle directe et pratiquement instantanée grâce à de puissants ordinateurs, sa propre voix transformée par des algorithmes qui en altèrent l’intonation sur des matrices optimistes. La personne s’écoute avec cette voix-là et se sent moins déprimée[7]. La philosophie de la voix de Roy Hart[8] vient à être l’inversion de cette démarche. Elle peut se résumer à la définition et aux implications qu’il donne à la notion de singing – c’est-à-dire de chanter / chant / chantant – sur le principe que tout son vocal, et notamment le cri, peut être assumé et produit à volonté, tenu et soutenu sur un mode non seulement expressif « primal » (c’est l’aspect thérapeutique du travail) mais dans une « conscience » qualitative, artistique, musicale : une conscience « chantée ». C’était, pour lui, le principe moteur fondamental de transformation éthique des émotions[9] – et donc non seulement d’exploration et de connaissance de soi, mais aussi de prise en charge, de contrôle, et de performance. Chanter, comme principe performatif de ce que Roy Hart et Wolfsohn ont défini comme « la voix de huit octaves », extension qui correspondrait à la gamme du possible humain. Roy Hart a même parlé de sa voix comme « objective »[10].

Il s’agit donc non seulement de s’entendre sur ce qu’il entendait par « chanter » – ou, d’ailleurs, par « voix », vue l’importance que la notion de voix a acquis dans la philosophie contemporaine[11] – mais il s’agit aussi de réfléchir sur les paradigmes philosophiques sur lesquels Roy Hart s’appuyait, sachant que quarante ans ont passé depuis sa disparition. C’était donc à l’époque des premières réflexions de l’écologie politique, avant (ou trop contemporain) avec la déconstruction postmoderniste (où la voix de Jacques Derrida a joué un rôle si important), avant le féminisme aussi, avant les études gai et de genre, avant la mouvance post-colonialiste, qui, par exemple, va jusqu’à questionner la notion de conscience comme démarche de « colonialisation » de l’inconscient, etc.

Il y a un autre point d’argumentation appartenant à cette époque, fondamental, et qui était (l’est toujours?) cause de malentendus radicaux, c’est-à-dire de positions philosophiques qui n’arrivent pas à s’entendre, ou, pire : qui n’arrivent pas à s’écouter, à se considérer. C’est la question du corps, du corporel et de ce qu’on appelait à l’époque : to embody  (incorporer / incarner) – notamment au sujet de la voix. Une voix non-incorporée (désincarnée / disembodied) serait – et je cite les tenants de cette école de pensée, dont Roy Hart : une voix sans corps émotionnel conscient, une voix où les passions ne « s’entendent pas » avec les idées[12]. Il s’agit, bien-sûr, d’une vocalisation de psyché – et de la psychanalyse: un passage à l’acte corporel, une objectivisation du concept de conscience. Roy Hart n’y allait d’ailleurs pas par quatre chemins : « Tu es ce que tu peux chanter »[13].

Voici une suite des réflexions qui susciteront, je l’espère, des dialogues sur les idées qui étaient, comme l’on dit, dans l’air du temps. Certaines perdurent, souvent transformées, parfois dépassées, d’autres s’effacent dans les accélérations de notre contemporanéité. Ce sont de brefs exposés, des notes à développer.

  1. JACQUES DERRIDA. J’ai déjà mentionné la place centrale qu’occupe la voix dans la vision que Jacques Derrida a de l’histoire de la philosophie. Je ne pense pas qu’il y ait eu le moindre contact, même indirect, par ouï dire, entre Derrida et Roy Hart, décédé en 1975. Dans ce parallélisme étanche il y a plus d’un paradoxe ; il faudrait même inverser la notion junguienne de synchronie acausale, et parler de « asynchronie causale » : quelles étaient les causes de cette non-rencontre ? Le fait que Roy Hart ait très peu écrit en est une, c’est certain. Je l’ai même entendu s’en vanter sérieusement, au nom de la voix – ou dire que le cercle de ses disciples était en fait son livre. Jacques Derrida, à l’inverse, a essayé de conserver toutes les traces de son écriture ; et il a énormément navigué, changeant parfois de cap, dans les courants adverses produits par la voix, le logos et l’écriture – notamment avec sa critique du logocentrisme, ou même du « phalogocentrisme » – donnant finalement sa préférence à l’écriture, dans une acception que je qualifierais de mytho-poétique, (ce qui a souvent été invoqué comme un autre parallélisme, cette fois entre Derrida et James Hillman.)
  1. LA SOPHISTIQUE. Lors d’une conversation sur comment lire Derrida, le philosophe Xavier Papaïs a mentionné un lien à faire avec la Seconde Sophistique, c’est-à-dire avec la période d’éclosion de la rhétorique, de l’Antiquité Tardive à l’apogée culturelle de l’Empire Romain, où l’on peut parler du triomphe de la voix, et d’une revanche historique de la sophistique sur la pensée philosophique conceptuelle platonicienne. Autour de 1968, Roy Hart a fait déployer une bannière qui disait : « Language is dead, long live the voice » (La langage est mort, vive la voix)![14] Cependant, quand je l’ai connu, c’était juste après, c’est son éloquence et surtout son herméneutique des rêves qui m’ont le plus fascinés. L’on pourrait dire : sa rhétorique, notamment dans son rapport à la voix-logos de Psyché, dans et autour des rêves. Aujourd’hui, vue la revalorisation de la sophistique et des liens qu’elle établit entre logos et voix, entre discours et émotion, le qualificatif de sophiste pourrait très bien s’appliquer aux stratégies de performance vocale et surtout de théâtre chorégraphique que je propose. C’est plus complexe en ce qui concerne Roy Hart, vues ses références morales juives et monothéistes.
  2. Le psychanalyste Jacques Lacan est une autre figure – de la même période – pour qui la voix a été une notion fondamentale. Dans l’écho des propositions de Derrida et de Lacan, il y a deux philosophes contemporains qui ont donné suite à la question de la vocalité. La philosophe italienne Adriana Cavarero dans: For More Than One Voice: Toward a Philosophy of Vocal Expression, qui est une confrontation à la fois d’hommage envers Derrida, et de critique féministe. Et Mladen Dolar qui, pour sa part, sélectionne et amplifie les propositions de Lacan sur la voix dans son livre : Une Voix et Rien d’Autre. Ce sont des contributions à la pensée « vocale » qui sont d’un très grand intérêt pour ce débat. (Ce ne sont pas le seules – si l’on pense à Maurice Blanchot, Roland Barthes, Jean-Luc Nancy, Pascal Quignard, et rien qu’en France…)

A présent des notes-balises à développer.

4. EXPRESSION. Adriana Cavarero parle de « vocal expression», même si, ce à quoi elle se réfère semble bien loin de la corporalité d’une performance vocale – ou des enregistrements des recherches vocales de Roy Hart. De même pour Mladen Dolar.
Steven Connor adresse la double nature de la voix – présence poétique et présence physiologique – dans ses étonnants livres, Dumbstruck: A Cultural History of Ventriloquism (2000), puis, Beyond Words: Sobs, Hums, Stutters and Other Vocalizations (2014). Steven Connor, professeur à Cambridge, est proche de Mladen Dolar et d’une théorisation freudo-lacanienne de la voix. Lors de la publication, voice2pratiquement simultanée de leurs livres sur la voix ils ont tous deux choisi la même image en couverture ! Causal synchronicity, dans ce cas ! Je considère le livre de Steven Connor sur le ventriloquisme, lui s’en défend, comme une histoire culturelle de la voix : à qui appartient la voix ? d’où vient-elle ? – et spécialement dans ses écrits sur l’influence des légendes de la voix de la Sybille de Cumes dans la musique vocale contemporaine. Voir ses articles sur stevenconnor.com.

Voici un extrait de son deuxième livre – et un autre point de vue sur « la voix désincarnée »: “What is the voice? The voice is always a dream voice, and we can never speak about the experience of the voice except in the register of fantasy, desire, phantom, myth. Even, and perhaps especially when we may speak of the materiality of the voice, we evoke imaginary substance and mythical powers.
The voice goes out from the body as the body’s twin – as a body double. It took me six years of writing Dumbstruck, a book I got into the habit of calling a ‘history of the disembodied voice’, to let on at last to myself and others that there is no disembodied voice – no voice that does not have somebody, something of somebody’s body, in it. Yet, all too often, the voice is experienced as the more-than-body, as the body projected, perfected.”[15]
« Qu’est la voix? La voix est toujours une voix de rêve, et nous ne pouvons parler de l’expérience de la voix, autrement que dans le registre de la fantaisie, du désir, du fantasme, du mythe. Même, et peut-être surtout lorsque nous parlons de la matérialité de la voix, nous évoquons des substances imaginaires et des pouvoirs mythiques.

La voix émerge du corps comme le jumeau du corps – comme un double du corps. Il m’a fallu six ans d’écriture sur Dumbstruck, un livre que j’ai pris l’habitude d’appeler une «histoire de la voix désincarnée», pour m’avouer enfin à moi-même et à d’autres qu’il n’y a pas de voix désincarnée – aucune voix qui n’a pas un corps/quelqu’un, quelque chose du corps de quelqu’un, en elle. Pourtant, trop souvent, la voix est vécue comme un surplus de corps, un plus-que-corps, comme le corps projeté, perfectionné. » (Ma traduction.)

4. EXTRAVERSION. Avec le terme « expression » s’ouvre le paysage sonore et bruyant de Dionysos, notamment les courants expressionnistes et les modèles extravertis – qui forment une partie dominante des mythologies de la voix, certainement méditerranéennes. Au-delà des typologies (Naples vs. Tibet), ces modèles extravertis soulèvent des questions de générosité, d’enthusiasme, d’optimisme, importantes pour les prises de position éthiques de Roy Hart – et pour les attitudes pédagogiques qui se revendiquent de son modèle. Par ailleurs, Gilles Deleuze souligne le mot expression dans son livre : Spinoza et le problème de l’expression. A investiguer.

5. VITALISME. Les philosophies dites « vitalistes », dans le sillage de l’élan vital de Bergson, semblent avoir mauvaise presse aujourd’hui, accusées de chercher ou de présumer des principes vitaux transcendantaux à l’origine de la vie ou simplement de toute vitalité – et donc adeptes d’un type d’enthousiasme théologique, au sens étymologique de en-theus: « possédé par un dieu ».

6. VOLONTARISME. En liaison avec les deux propositions précédentes, le volontarisme serait l’expression d’une vitalité transformatrice, ou d’une transformation vitale – notamment dans la lignée du Nietzsche du Zarathoustra. L’attitude de Roy Hart était d’un volontarisme positif radical – une force de volonté éthique contre nature : faire que l’eau d’un ruisseau remonte la pente. Sur ce point je prépare une analyse de texte du poème de Serge Béhar intitulé Biodrame, que Roy Hart a joué en solo et dont il a fait, à mon avis, son manifeste. Une citation adressée au spectateur : « J’ai agressé mon corps pour me rapprocher de toi. »[16]

7. Le Roy Hart Theatre s’est constitué à Londres, et ses membres, dans une large majorité, étaient anglo-saxons. Le culte protestant de la voix, sa spiritualité dans le chant communautaire choral, parfois jusqu’à l’extase, avec son refus iconoclaste de l’image théâtrale, a fortement influencé l’éthique et l’esthétique du groupe, notamment après la mort de Roy Hart en 1975[17]. J’ai adressé ces polémiques dans un séminaire de réflexion sur trois grandes critiques faites à Roy Hart : mysticisme (spiritualité sectaire), naïveté (vitalisme enthusiaste), fascisme (élitisme volontariste)[18].

8. CONTRE-CULTURE. A l’époque où j’ai rencontré Roy Hart, les livres qu’il lisait – je l’espionnais discrètement – étaient surtout des livres de la contreculture américaine : les intellectuels du mouvement hippie, des visionnaires critiques comme Ivan Ilitch, Theodore Roszak ou Alan Watts, ou des penseurs comme l’anglais George Steiner. L’un des derniers livres, qu’il a commenté et recommandé – ce qui était rare – était un livre intitulé : Fellow Teachers, par Philip Rieff – très controversé en Amérique déjà à l’époque. Norman O’Brown en dit le plus grand bien. James Hillman le voyait comme un conservateur autoritaire.

9. POLITIQUE. Ce trop bref tour d’horizon soulève la question du politique. Je ne crois pas que Roy Hart ait voté. L’aventure de Malérargues était radicalement marginale : autarcie, pas de sécurité sociale, pas de souscription au chômage ni à la retraite, pas d’engagement civique. Cependant, en 1974, Roy Hart a donné comme titre à sa dernière création: L’Economiste. La base était une pièce sur un poète dans un café, écrite aussi par Serge Béhar, auteur de Biodrame, mais à mon avis sans grand enthusiasme cette fois. Roy Hart y a intercalé des sermons (c’était sa description) de philosophie politique. C’est un autre territoire qui n’a pas encore été défriché ou même décrit et qui contient de grandes zones d’ombre, souvent le résultat du mauvais ménage qui peut surgir entre les hiérarchies d’ordre psychologue et les principes de la démocratie. Sur ces points aussi j’espère ouvrir les débats.

[1] Le Figaro, jeudi 21 janvier 2016, SCIENCES, P.9. http://www.lefigaro.fr/sciences/2016/01/20/01008-20160120ARTFIG00330-comment-la-voix-faconne-nos-emotions.php
pdf de l’article sur: www.pantheatre.com/pdf/6-liste-de-lecture-voix-emotions-lefigaro2016.pdf

[2] Dans le cycle Mythes de la Voix, nous avons dédié un festival à Sybilles et Sirènes – deux voix mythiques féminines qui ont fait l’objet de tout un appareillage de projections et de contrôles sexistes.

[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Serendipity_(film) – le concept de sérendipité est par ailleurs fondamental dans l’art, surtout lorsqu’on invoque la notion de chamanisme. Nous y reviendrons. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rendipit%C3%A9#.C3.89tymologie

[4] Paul Newham dont le livre-thèse sur Wolfsohn a pour titre : The Prophet of Song: The Life and Work of Alfred Wolfsohn. London: Tigers Eye Press, 1997.

[5] Vers 1968, Peter Brook a emmené Jerzy Grotowski pour une rencontre avec Roy Hart dans son studio à Londres. (Je n’y étais pas encore). Il paraît que Grotowsky a dit que ce qui l’intéressait était une présence ancestrale derrière Roy Hart. Roy Hart n’a pas apprécié. Je le comprends, car cela ignore l’autorité au présent. J’étais par contre là lorsque Roy Hart a raconté un rêve qu’il avait fait et qui, pour lui, signifiait que le transfert de Wolfsohn envers lui était parachevé.

[6] Roy Hart était souvent explicite sur son exceptionnalité, ou plutôt, sur sa normalité exceptionnelle – ce qui pouvait être très provocant, et même grave, dans l’esprit anarchique du théâtre des années post-1968 – une attitude qui soulève des questions complexes sur ce qu’étaient ses normes, et son « antinomie » (sa façon de briser les normes). L’antinomie est un thème que j’ai beaucoup travaillé dans mes propositions d’un théâtre chorégraphique, m’appuyant plutôt du côté de la casuistique baroque, de la mythologie archétypale et des perspectives mantiques païennes. Par exemple, en référence à l’éthique du dieu Hermès (par implication : « hermétique » et « herméneutique »), je dis souvent dans les laboratoires, que « les règles sont faites pour confirmer les exceptions. » J’ai aussi étudié ces dernières années, étant données les racines rabbiniques de Roy Hart et probablement d’Alfred Wolfsohn, l’esprit d’antinomie dans les traditions talmudiques. Ce sont des questions (sectarisme, casuistique, antinomie, théâtre chorégraphique) que je compte développer plus avant dans cette série « Algorithmes et Chamanisme ». Dont aussi, bien sûr : ma conception du chamanisme, que je n’ai pas abordé jusqu’à présent.

[7] L’article fait aussi allusion à ce qu’on pourrait appeler l’écoute par le larynx – sujet qui fera partie d’un futur colloque que nous voulons organiser, justement, sur l’Écoute.

[8] Les prémices philosophiques de Roy Hart font écho à celles d’Alfred Wolfsohn. Des différences émergent plus tard dans la façon dont Roy Hart, pour ainsi dire, « passe à l’acte » et, de là, relance et radicalise sa pensée.

[9] J’ai décrit singing comme étant la root metaphore (paradigme métaphorique) de Roy Hart. Article dans Spring Journal, USA, 1994 – qui sera mis en ligne bientôt.emotion MT09
Par ailleurs, le Festival Mythe et Théâtre 2009 a été dédié à EMOTION, et à ses définitions (donc mythologies). Edmund T. Rolls, professeur de computation et de neurologie à Oxford, venait de publier un livre intitulé « Emotions Explained »… nous étions déjà dans en plein territoire « algorithmes et chamanisme »!
Voir:  www.pantheatre.com/2-MT09-fr.html

[10] Dans un entretien publié dans la revue espagnole Primer Acto, Roy Hart mentionne l’intérêt fasciné que les compositeurs de la fin des années 1960, dont notamment Hans Werner Henze, portaient à la schizophrénie. C’est dans ce contexte qu’il parle de sa voix comme « objective ». Je pense que c’est aussi dans ce contexte qu’il a parlé de son travail vocal comme « schizophrénie consciente ». Il en était de même pour ses réflexions sur la voix d’Hitler ; je le paraphrase : « si tu ne chantes pas Hitler, Hitler risque de t’enchanter ». C’est l’une des réflexions qui m’ont poussé à créer et à jouer récemment un spectacle sur Hitler : www.pantheatre.com/3-performances-hitler-fr.html

[11] Voici une définition de la voix que j’apprécie particulièrement, et que je cite souvent, du philosophe italien Giorgio Agamben, dans l’orbite de Jacques Derrida : « L’écoute de la voix dans le discours, c’est cela la pensée ». J’ai d’ailleurs, et plus d’une fois, entendu des amis philosophes dire : « c’est étonnant, et même génial, de prendre la notion de voix (dans la lignée Husserl / Heidegger / Derrida) de façon littérale, physiologique ! » Comme si la voix n’avait été pour eux qu’un concept philosophique! Par ailleurs, j’ai entendu Jacques Derrida vocaliser intensément lors de conférences sur la voix d’Antonin Artaud. Note aux spécialistes de Derrida : nous signaler s’il y a des enregistrements – ou des écrits dans cette lignée « active / actorale » de la voix. Voir aussi notre table ronde, de mai 2015 : Deux Voix. Deux cas de conscience. Antonin Artaud et Roy Hart. www.pantheatre.com/2-TR-2015-05 Artaud RH.html

[12] Le Festival Mythe et Théâtre a été crée avant tout pour entendre les dialogues entre idées et performance, entre… mythe et théâtre, justement. Et éviter le gâchis des guerres entre les camps des « corps » et les « têtes ». Voir www.pantheatre.com/2-MT-fr.html. Voir aussi plus bas la citation de Steven Connor.

[13] Dans la cosmologie du chant, la chanson est l’allégorie fondamentale. Et elle inclut paroles et musique, logos et melodia. C’est le terrain de travail principal de Linda Wise. Le mien est plus melo-drama. Samedi 27 février 2016 : nous avons regardé ensemble l’émission The Voice à la télévision, sur TF1. Ce n’est pas la première fois. Le contenu (chant et commentaires) était magnifique – je passe sur tout l’aspect commercial qui fait jacasser presque tous nos collaborateurs ! J’étais frappé par le nombre de fois que les quatre coachs ont utilisé le mot « âme ». Rappel d’un des aphorismes favoris de Wolfsohn et de Roy Hart : « La voix est le muscle de l’âme » – citation du poète romantique américain Henry Wadsworth Longfellow.

[14] Voici un positionnement « vocalocentrique » (par contraste avec logocentrique) et qui comporte un défi sérieux: un collègue qui a bien connu Roy Hart, me dit récemment: « Des gens me posent des questions sur la pensée de Roy Hart : je leur dis qu’ils n’ont qu’à écouter sa voix. Il y a des enregistrements : toutes les réponses sont dans sa voix. »

[15] In, Steven Connor, Beyond Words: Sobs, Hums, Stutters and Other Vocalizations. Lire l’extrait complet sur: https://books.google.fr/books?id=rP30AgAAQBAJ&pg=PA17&lpg=PA17&dq=%22the+voice+is+always%22+dream&source=bl&ots=Zy_DgRZOau&sig=phBJXLG_elasrhnpWOLo8huW4Uw&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwieseqZtZPLAhVLnRoKHQ6UC_UQ6AEIHTAA#v=onepage&q=%22the%20voice%20is%20always%22%20dream&f=false

[16] Biodrame, de Serge Béhar, texte intégral commenté par Roy Hart, sur le site archive de Clara et Paul Silber : http://www.roy-hart.com/bio1.htm

[17] Malérargues, le Centre Roy Hart, se trouve en plein pays protestant, Camisard-Huguenot. Encore une coïncidence, dont je parle dans un article sur Le Théâtre Sacré des Cévennes. Voir www.pantheatre.com/pdf/6-archives-MV05-french-prophets-gb.pdf

[18] Séminaire qui sera mis bientôt en ligne. Voir www.pantheatre.com/4-etudes-culturelles.html

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