SUPERSTITION – Performance Comprise

Festival Mythe et Théâtre – ajourné fin juin 2021

English ORIGINAL

Traducción al ESPAÑOL

Fin juin, début juillet 2021      Malérargues, Gard – Centre Roy Hart

Éditorial

Enrique Pardo


Informations sur le Festival 2020
Historique du Festival depuis 1986

Les notes de bas de page seront développées
plus avant et pendant le festival
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Performance Comprise

Le sous-titre original anglais est A Performance Take
littéralement, 'une prise performance' :
la superstition prise et comprise à travers la performance.

Anubis, extrait de l’image affiche du festival

Sur l’image d’entête du festival, le capharnaüm et le bric-à-brac  de la superstition sont sous la garde d’Anubis, le dieu-chacal égyptien, gardien du passage à la mort : une présence divinement alerte. Nous en ferons le dieu de la superstition pour les besoins de notre approche : performance comprise.
VOIR  IMAGE COMPLÈTE

La superstition a été dédaignée et mise au ban par la pensée occidentale « sérieuse », et ce, depuis quelques siècles[1], un exil qui est mis en question par les ethnographes et les artistes contemporains, qui voient dans cet anathème un filtre colonial de plus à ôter de nos convictions anthropologiques et de nos croyances religieuses.

 

Les ethnographes ont fait face à la superstition sur le terrain suffisamment longtemps pour reconnaître et admettre leurs propres préjugés[2]. Le verdict est clair : la superstition est tout ce qui n’est pas conforme à la rationalité occidentale et, surtout, au modèle judéo-chrétien de la spiritualité[3]. La superstition est en fait une «aubaine» pour les artistes qui, depuis plus d’un siècle, essaient instinctivement, parfois désespérément, parfois à coups de scandales, de se libérer des carcans narratifs rationnels et religieux[4]. Les paradigmes anthropologiques évoluent vers des vues d’ensemble plus larges, plus libres, plus complexes, plus inclusives. La réhabilitation de la superstition n’est cependant ni simple ni facile tant les préjugés sont solidement ancrés, souvent avec fanatisme.

Avoir une « vue d’ensemble » est le principal corollaire de la superstition, qui, étymologiquement, indique simplement une position plus élevée, un regard situé au-dessus (super stare) – à l’origine, le domaine des oiseaux, des étoiles et des esprits, qui ont, en effet, une meilleure vue et donc un regard plus étendu. Pour ceux qui la dénigrent, la superstition n’est que supercherie primitive : fiction et fausseté. Cela dit, to understand implique aussi un point de vue « inférieur » (under) – et donc, aussi, un regard vers le haut. La « prise » du « com-prendre » peut en plus avoir des connotations possessives qui risquent de se crisper sur une « vérité ». C.G. Jung aurait un jour fait la boutade suivante : « Le besoin de comprendre est un besoin de mère[5] ».

Je vois la superstition sous un mode performatique : un état de perception alerte, vif et clairvoyant, à la fois futé et prudent, surtout lorsqu’il s’agit d’évaluer des signes et de passer à l’acte. Le résultat : des initiatives sagaces, justes et appropriées, des prises de risque radicales mais finement jaugées (ou chanceuses). La superstition vient à être le premier filtre psycho-sémantique de la perception : une plate-forme d’accueil[6] pour les affinités poétiques et la sérendipité[7], ouverte aux prémonitions, aux daemons, aux altérités. Laisser entrer les esprits : IN-SPIRATION.  Elle oriente l’intuition de l’interprète dans ses choix d’images ou, du moins, dans le pari des significations. J’ai décrit la superstition comme étant « l’écologie de l’imagination »[8] : des réseaux contextuels qui assemblent et relient signes, images, émotions et idées. Un métier interactif (poiesis) qui entrelace gestes, musiques et textes : un théâtre chorégraphique[9].

L’écrivaine et mythologue Ginette Paris[10] m’a répondu, à l’époque, qu’elle avait toujours compris la superstition comme étant « le cimetière de l’imagination » : des images momifiées dans des niches symboliques, archivées dans un dictionnaire rigor mortis[11]. Une chose est sûre : la superstition « gagne sa vie » grâce à la peur panique que les humains ont de la mort, et à l’avidité désespérée que cette peur engendre[12]. Mais, en même temps, il me semble que c’est dans les « temples » de la superstition (dont les laboratoires de théâtre) que l’on trouve les miroirs les plus vivaces pour la contemplation et l’étude polythéiste des traditions, des drames et de la sagesse de la superstition.

Une anthologie de notes brèves :

  • Les oreilles d’Anubis sont superstitieuses non pas parce qu’elles sont plus fines ou plus grandes, mais parce qu’elles syntonisent et évaluent les voix « inhérentes », ou, en d’autres mots : les esprits, ou les daemons[13]. Et avec quelle acuité ! Quel aplomb ! Quelle gravité ! Ici, et surtout pour les fans de la voix, dont je suis, je cite encore une fois Giorgio Agamben : « L’écoute de la voix dans le discours, c’est cela la pensée ». La position d’Agamben, tout comme l’écoute et les oreilles dont il parle, sont, en ce qui me concerne, foncièrement superstitieuses[14].
  • Pour les Égyptiens, les animaux étaient les présences divines originelles. Cela est clair dès les premières figurations anthropomorphiques : les dieux et les déesses étaient à l’origine des animaux. De telles réalisations « théologiques » sont le fondement de nos superstitions originelles et les plus fécondes : les religions.
  • L’objectif de nos laboratoires est de « développer l’instinct de l’image». L’artiste-interprète comme agent instinctif, initié à la création d’images. La sagacité et les mises en garde de la superstition peuvent nous conduire à l’invention (in-venire : trouvaille) et à la clairvoyance créatrice. D’où, une formation théâtrale à la fois corporelle, émotionnelle et culturelle et qui commence par les oreilles d’Anubis : l’écoute et la captation des messages, en voie vers l’interprétation créatrice. « Plus il y a de références, mieux c’est. » (Un adage herméneutique personnel).
  • La superstition demande des réactions d’adultes, et non pas des croyances ou des dévotions naïves et crédules. Il faut se méfier des canines acérées d’Anubis ! Les chacals, tout comme les coyotes, sont des charognards et, à ce titre, divinement dangereux : des escrocs mortels. Anubis se trouve être aussi le dieu de la momification.
  • Un dernier mot sur cette approche de la performance, d’une esthétique, certes, baroque. Elle a été profondément influencée et « animée » par les propositions de James Hillmann dont : « La mort est la métaphore ultime »[15].
  • Une dernière image (extraordinaire). Le jour de notre jugement final, Anubis mettra nos cœurs en balance avec une plume de la déesse de la justice. « Au juste, quelle était la justesse de ta performance ? » « Ton cœur, a-t-il acquis la légèreté et la « spiritualité » d’une métaphore ? »

Anubis soupèse un coeur contre une plume de Maat, la déesse de l’équilibre et de la justice.

[1] Une brève histoire de la notion de superstition.

[2] Les positions de l’ethnologue français, Jean Bazin, et ce qu’il nomme “les choses-dieux” ont été, par exemple, d’un grand appui par leur similitude avec le laboratoire théâtral que nous appelons L’Académie de l’Ennui et le travail d’objet-métaphore.

[3] Un article crucial déjà cité dans ce blog : J. Brent Crosson, The Politics of Spirituality and Secularization in Western Modernity. In Oxford Research Encyclopedia of Religion. Oxford University Press. Article publié en février 2019. doi: http://dx.doi.org/10.1093/acrefore/9780199340378.013.222 . Il comprend un aperçu de la mise en accusation pour superstition du Catholicisme par la Réforme protestante, surtout en ce qui concerne les deux fondements de notre travail : le théâtre et les images.

[4] Zurich 1918 : Dada et le Surréalisme – The Red Book (Le Livre Rouge) de C.G. Jung. La visite que fit André Breton à Freud. Alfred Wolfsohn et Jung.

[5] C’est le développement donné par James Hillman aux idées de Carl Jung, parfois à contre-courant, que j’apprécie tellement et plus précisément sur ce point : le statut qu’il donne à l’image et à l’imagination. J’ai récemment présenté cette appréciation dans une conférence intitulée : The Story of a Sympathy, lors d’un congrès de la Société Jungienne Italienne intitulé Psyche in Scena. Catane, octobre 2019 – (à paraître bientôt).

[6] John Cage décrivait les White Paintings (Peintures Blanches) de Robert Rauschenberg comme des « aéroports ».

[7] Sérendipité et Synchronicité : les deux “mamelles” de la chance : LUCK – thème du Festival Mythe et Théâtre 2019. http://www.pantheatre.com/2-MT19-fr.html

[8] Notes sur la superstition, tirées du Festival Mythe et Théâtre du millénaire 2000 à Rome. Le Vatican est construit sur une colline païenne oraculaire (vaticination), un quartier censé avoir abrité un ancien vates : un barde prophétique.

[9] Théâtre Chorégraphique, voir : http://www.pantheatre.com/2-theatre-choregraphique-fr.html

[10] Ginette Paris. Présentation et bibliographie.

[11] Le cimetière principal de Milan, Il Monumentale, mérite une visite pour ses couloirs monumentaux de niches tombales et surtout pour la sentimentalité sans complexes de ses sculptures funéraires fin de siècle.

[12] Le folklore du théâtre est riche en superstitions ; je postule que c’est parce que le spectacle vivant tient des implications « mortelles » de l’illusion et du funambulisme. En ce qui me concerne, les meilleurs « échauffements » avant une performance sont des rituels superstitieux, des rites propiciatoires.

[13] Le daemon de Socrate : “Il parle d’une manière particulièrement non statistique et non scientifique – de façon anecdotique, superstitieuse, symptomatique, avec des présages, des allusions et des chuchotements ; même par des événements corporels comme les éternuements, les bâillements et les hoquets. » James Hillman, in, The Virtues of Caution. (Ma traduction.) Ou encore: “… le daimon de Socrate, qui n’indique que ce qu’il ne faut PAS faire.” In Resurgence Magazine, 2002.

[14] La phrase d’Agamben doit beaucoup aux réflexions de Jacques Derrida dans son livre La Voix et le Phénomène (1967). Si je pouvais me permettre de faire un lien entre Derrida et la superstition, ce lien passerait en fait par la voix, et par la sophistique. C’est le philosophe Xavier Papaïs qui m’a mis sur cette piste lorsqu’il répondit à quelqu’un qui lui demandait comment faire pour lire Derrida : « Allez voir du côté de la Deuxième Sophistique ». J’en parlerai lors du festival, car c’est une arrière-boutique de l’histoire de la philosophie qui m’a beaucoup intéressée – tout comme le lien entre sophistique, rhétorique, théâtre et superstition.

[15] The Dream and the Underworld, (Le Rêve et les Enfers), James Hillman, 1975 : l’un des livres fondateurs de Pantheatre.

Rappel : Les notes de bas de page seront développées
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Une réflexion sur “SUPERSTITION – Performance Comprise

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